Somptueux.
L'histoire se passe dans un arbre, habité par le peuple des arbres, des êtres humains qui nous ressemblent fort, à part la taille 2 millimètres à tout casser, et descend aussi sous l'arbre, où demeure le peuple de l'herbe.
On ne quitte guère le héros, Tobie Lolness, 13 ans, mais c'est tout un monde étrange et remarquable que ses aventures nous dévoile au fil des pages, un monde original qu'on n'a pas l'impression d'avoir lu mille fois, même si d'autres auteurs ont imaginé la vie d'être plus petits que nous (de Swift et les voyages de Gulliver à Pratchett et le grand livre des gnomes).
Les très nombreux personnages sont remarquablement dépeints et individualisés, les héros sont d'une profondeur parfois étincelante comme cette héroïne romantique et inoubliable qu'est Elisha, et leurs adversaires sont rabelaisiens à souhait, toute une galerie de tronches grotesques et hilarantes qu'on imagine sans peine rien qu'avec les mots, la plupart d'ailleurs plus (magistralement) bêtes que méchants.
Truculentes sont les aventures de Tobie, pourchassé par son peuple à cause de son père, savant intraitable et écolo qui ne veut révéler les secrets de son invention dangereuse pour l'arbre, Tobie rencontre la trahison, la cruauté, l'amour, l'amitié, le sacrifice, toutes ces choses habituelles dans les romans initiatiques et épiques pour adolescents, mais dont je ne me lasse pas, surtout lorsqu'elles sont pareillement maitrisées et finement amenées, sur un rythme haletant qui n'empêche pas la réflexion politique ou philosophique, ou les pauses sentimentales d'une pudeur et d'une délicatesse d'un autre temps.
Un peu comme chez Proust, des personnages réapparaissent sous un angle différent, des cercles imprévus se referment dans l'intrigue, et jusqu'aux dernières lignes éclairent et rendent le tout harmonieux et plus grand que l'ensemble de ses parties. Et comme chez Queneau la construction rigoureuse et l'architecture ne se révèlent que dans la connaissance de l'oeuvre entiere une fois les deux tomes terminés, le secret et le destin de chaque personnage révélé, même mineur.
Le monde est magnifique quand on le regarde à hauteur de charançon, la vie est toujours aussi compliquée mais personne n'a rien inventé de mieux pour la remplacer. Et personne n'a réellement inventé mieux que la littérature pour faire rêver.
Extrait :
Tout en bas de l'arbre, avant de toucher terre, le bois du tronc se soulève et forme les plus hautes chaînes de montagnes.
Des flèches, des précipices sans fond... On dirait que la surface de l'écorce est parfois chiffonnée, parfois ondulée comme les plis d'un rideau. Les forêts de mousse s'accrochent aux sommets et attrapent les flocons de neige en hiver. Le lierre bouche avec ses lianes tous les passages entre les vallées. C'est un pays infranchissable et dangereux.
En creusant l'écorce au fond des canyons, on trouve quelquefois les restes d'aventuriers malchanceux qui se sont risqués dans ces montagnes. Avec le temps, le bois a fini par les digérer. On découvre une boussole, une paire de crampons ou un crâne d'un quart de millimètre. C'est tout ce qui reste de leurs rêves héroïques.
Pourtant, au milieu de ces montagnes peu hospitalières, il existe un petit vallon protégé où on installerait bien un chalet pour passer Noël sous la couette en écoutant ronfler la cheminée. Un vallon verdoyant qui recueille l'eau de pluie dans une petite mare entourée d'écorce douce.
Seul habitant du secteur, un cloporte venait chaque matin y brouter un peu de verdure.
Il y a dans l'arbre bien des coins de paradis qu'on ferait mieux de laisser aux gentils cloportes.
dimanche, janvier 25, 2009
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