mercredi, avril 15, 2009

Un pays à l'aube, de Dennis Lehane

Avant de lire ce dernier roman de Dennis Lehane, j'avais été époustouflé par les 5 premiers (Un dernier verre avant la guerre, Ténèbres, prenez-moi la main, Sacré, Gone, baby gone, Prières pour la pluie), des romans policiers surprenants d'audace et d'inventivité, mettant en scène un couple de détectives privés, Patrick Kenzie et Angela Gennaro, et une ville magnifiée même dans sa noirceur, Boston, un peu à l'image de Harry Bosch et de son Los Angeles, puis j'avais été plutôt déçu par les 2 suivants, Mystic River et Shutter Island, des romans noirs plus convenus, sans Kenzie ni Gennaro.

Autant dire que j'étais assez hésitant vis à vis d'un livre dont encore une fois mon couple préféré de détectives privés était absent, et qui pis est se présentait comme un roman historique, genre que je n'aime guère.

Ce que j'avais aimé dans les enquêtes de Kenzie et Gennaro, outre les titres poétiques, c'était bien sûr les intrigues complexes et mouvementées, les rebondissements, le suspense et les dénouements inattendus indispensables à d'excellents romans policiers, l'amour contagieux d'un auteur pour sa ville, mais surtout des fulgurances de style, 2-3 phrases (par livre) sorties de nulle part et jamais lues avant et qui me laissaient pantois d'admiration (et de jalousie) et ces dialogues savoureux, ces joutes verbales, mélanges d'amour, d'humour, de désir et d'agressivité, entre Kenzie et Gennaro, dignes des comédies de Shakespeare.

Ces fulgurances et ces dialogues étincelants avaient disparu des 2 romans qui m'ont déçu, je ne les ai pas non plus retrouvés dans un pays à l'aube mais j'y ai trouvé d'autres qualités presque égales.
On peut parler de grandiose fresque historique montrant la naissance d'une nation alors que paradoxalement l'histoire - les histoires - se déroulent presque intégralement à Boston et sur une courte période de 2 années à peine.
Mais durant ces 2 années il s'en passe des choses : la fin de la 1ere guerre mondiale, l'épidémie catastrophique de grippe espagnole, le progrès des idées de gauche et du syndicalisme jusque dans la police, la radicalisation des travailleurs, et cause ou conséquence la radicalisation du pouvoir en place, les prémisses de ce qui deviendra le FBI, la chasse aux bolcheviks et anarchistes, les attentats à la bombe qui y répondent ou la précèdent, la 1ere grêve de policiers des Etats Unis à Boston, et les émeutes terribles qui ont suivi et une répression tout aussi terrible, et à côté ou par dessus tout cela, le problème de l'immigration et la question raciale, le tout dans un pavé de 760 pages où de nombreux destins individuels s'entrecroisent magistralement, reliant les histoires à l'Histoire.
Des fresques de ce genre ne sont pas rares, loin de là, mais celle-ci est réussie à tous les points de vue, on y croise des figures historiques réelles (Babe Ruth, le plus grand joueur de base-ball de tous les temps, le futur président Coolidge, Hoover, le futur maitre du FBI, et des anarchistes célèbres en leur temps) mélées sans artifice à des personnages inventés, noirs, blancs, irlandais, slaves, italiens, flics, gangsters, politiciens, ouvriers, des jolies figures de femmes courageuses dont le courage n'est pas seulement physique mais surtout moral, de ces femmes qui n'ont pas peur d'aimer totalement (Nora l'irlandaise et Lila la noire) ou de haïr jusqu'à la mort (Tessa, la poseuse de bombe fanatique), mais surtout 2 personnages masculins inoubliables, Danny le flic blanc et Luther, le jeune noir aux multiples talents, d'une épaisseur et d'une profondeur qui égalent presque la vie réelle, et qui évoluent, de prises de conscience en erreurs dramatiques, de l'immaturité de jeunes chiens fous à une noblesse d'âme magnifique, devenant deux modèles de ce que ce pays d'extrêmes peut produire de meilleur.
Un portrait saisissant et sans fard de l'essence de l'Amérique dans ce qu'elle a de plus haïssable (politiciens sans scrupules, patrons sans conscience, flics corrompus, racisme, violence, stupidité, ignorance, rapacité) et de plus admirable (saints, martyrs et héros, générosité, grandeur d'âme, conscience aigue du devoir, de l'amour du prochain et une volonté sans faille de construire un monde meilleur à la force du poignet)

lundi, avril 06, 2009

Danse avec les loups, de Michael Blake

Au départ je l'ai emprunté à la biblio pour ma fillechérie qui est fan de loups et de livres de loups, mais elle en a pas voulu. Peut-être elle a changé. Tout change, surtout les enfants.

Il y a bien 25 ans j'avais beaucoup aimé le film de et avec Kevin Costner, alors j'ai commencé à le lire.

Evidemment pour un livre écrit en 1988, il est un peu tardif de découvrir que les tribus indiennes formaient une civilisation riche et foisonnante que la lie de notre civilisation, soldats et colons incultes, sales et violents, ont pratiquement détruite, en même temps que les bisons. On savait déjà depuis un moment, même John Ford et John Wayne le savaient, un demi siècle plus tôt, c'est dire.
Mais pour des adolescents c'est un bon roman pour le découvrir, vivant, rythmé, plein de bons sentiments mais sans trop en rajouter, et il y a quelque chose de si frais, neuf et enthousiaste dans le héros qu'on ne peut manquer de sourire comme devant un jeune frère trop expansif.

Un jeune lieutenant, jeune mais qui est passé à travers la souffrance et la mort, pas indemne, pendant la guerre de Secession, veut changer d'air et se fait muter le plus loin possible du monde qu'il a connu, tellement loin qu'il se retrouve carrément dans un fort abandonné par sa garnison. Au lieu de rentrer sagement prendre de nouveaux ordres il s'y installe et découvre l'immensité des plaines encore sauvages, la solitude, la compagnie d'un cheval et d'un loup, les indiens Comanches, au point de devenir Comanche lui-même. Mais le passé finit toujours par nous rattraper.

dimanche, janvier 25, 2009

Tobie Lolness, de Timothée de Fombelle

Somptueux.

L'histoire se passe dans un arbre, habité par le peuple des arbres, des êtres humains qui nous ressemblent fort, à part la taille 2 millimètres à tout casser, et descend aussi sous l'arbre, où demeure le peuple de l'herbe.

On ne quitte guère le héros, Tobie Lolness, 13 ans, mais c'est tout un monde étrange et remarquable que ses aventures nous dévoile au fil des pages, un monde original qu'on n'a pas l'impression d'avoir lu mille fois, même si d'autres auteurs ont imaginé la vie d'être plus petits que nous (de Swift et les voyages de Gulliver à Pratchett et le grand livre des gnomes).



Les très nombreux personnages sont remarquablement dépeints et individualisés, les héros sont d'une profondeur parfois étincelante comme cette héroïne romantique et inoubliable qu'est Elisha, et leurs adversaires sont rabelaisiens à souhait, toute une galerie de tronches grotesques et hilarantes qu'on imagine sans peine rien qu'avec les mots, la plupart d'ailleurs plus (magistralement) bêtes que méchants.

Truculentes sont les aventures de Tobie, pourchassé par son peuple à cause de son père, savant intraitable et écolo qui ne veut révéler les secrets de son invention dangereuse pour l'arbre, Tobie rencontre la trahison, la cruauté, l'amour, l'amitié, le sacrifice, toutes ces choses habituelles dans les romans initiatiques et épiques pour adolescents, mais dont je ne me lasse pas, surtout lorsqu'elles sont pareillement maitrisées et finement amenées, sur un rythme haletant qui n'empêche pas la réflexion politique ou philosophique, ou les pauses sentimentales d'une pudeur et d'une délicatesse d'un autre temps.

Un peu comme chez Proust, des personnages réapparaissent sous un angle différent, des cercles imprévus se referment dans l'intrigue, et jusqu'aux dernières lignes éclairent et rendent le tout harmonieux et plus grand que l'ensemble de ses parties. Et comme chez Queneau la construction rigoureuse et l'architecture ne se révèlent que dans la connaissance de l'oeuvre entiere une fois les deux tomes terminés, le secret et le destin de chaque personnage révélé, même mineur.

Le monde est magnifique quand on le regarde à hauteur de charançon, la vie est toujours aussi compliquée mais personne n'a rien inventé de mieux pour la remplacer. Et personne n'a réellement inventé mieux que la littérature pour faire rêver.

Extrait :

Tout en bas de l'arbre, avant de toucher terre, le bois du tronc se soulève et forme les plus hautes chaînes de montagnes.
Des flèches, des précipices sans fond... On dirait que la surface de l'écorce est parfois chiffonnée, parfois ondulée comme les plis d'un rideau. Les forêts de mousse s'accrochent aux sommets et attrapent les flocons de neige en hiver. Le lierre bouche avec ses lianes tous les passages entre les vallées. C'est un pays infranchis­sable et dangereux.
En creusant l'écorce au fond des canyons, on trouve quelquefois les restes d'aventuriers malchanceux qui se sont risqués dans ces montagnes. Avec le temps, le bois a fini par les digérer. On découvre une boussole, une paire de crampons ou un crâne d'un quart de millimètre. C'est tout ce qui reste de leurs rêves héroïques.
Pourtant, au milieu de ces montagnes peu hospitalières, il existe un petit vallon protégé où on installerait bien un chalet pour passer Noël sous la couette en écoutant ronfler la cheminée. Un vallon verdoyant qui recueille l'eau de pluie dans une petite mare entourée d'écorce douce.
Seul habitant du secteur, un cloporte venait chaque matin y brouter un peu de verdure.
Il y a dans l'arbre bien des coins de paradis qu'on ferait mieux de laisser aux gentils cloportes.